LOST AND FOUND

EP. 1 : SUISSE

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TEMOIGNAGE DE MARCUS LEACH

IMAGES DE GAVIN, POUR OSPREY IMAGES

Je connais cet endroit. Pas précisément cette portion de route, mais dans mon esprit, ma vision se resserre devant mes yeux. Les bruits extérieurs qui remplissent mon quotidien sont coupés, remplacés par les battements de mon cœur, avec le bruit presque assourdissant du gravier sous mes pneus. J’abandonne tout contrôle dans mon être intérieur tandis qu’une morsure familière s’immisce dans mes jambes, intensifiant le sentiment d’isolement du reste du monde. C’est ici que je m’abandonne. C’est ici que je me retrouve. 

Avec le temps, les itinéraires de mes échappées ont petit à petit commencé à perdre leur impact, et le besoin d’élargir mes horizons à chaque kilomètre de piste a empreint mes muscles. Chaque contour, chaque nuance, chaque déviation fait autant partie de moi que du paysage sauvage gallois qui est mon chez-moi. 

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Mon amour pour ce petit coin de planète n’a pas disparu... C’est seulement qu’au fond de moi, il reste un désir ardent de trouver de nouveaux chemins de connaissance de soi, de me perdre dans le relief des montagnes sombres, loin de la modernité, pour trouver les réponses aux questions abritées par les tréfonds de mon esprit.

Des réponses qui, je le sais de mes expériences passées, ne peuvent ressortir que lorsque je m’abandonne à la route, aux montagnes, à la nature. 

C’est ainsi que je me retrouve en Suisse, à la sortie du village de Verbier. La route longe les hauts flancs de la vallée jusqu’à laisser la place à une piste de gravier bordée d’arbres, qui défile sous mes jambes comme autant de vagues. Je vois un peu plus loin un panneau qui indique une déviation, des travaux, alors je me dirige vers la route de la vallée avant de poursuivre ma trajectoire vers l’est, le long d’une rivière qui m’accompagne de ses grondements. Cela ne me dérange pas. J’ai prévu mon itinéraire à la louche, mais il est flexible, et je l’ai imaginé de manière à rester libre ; c’est ce que le cyclisme m’a toujours apporté, depuis mes premiers tours de roue en tant que petit garçon sur mon premier vélo, avec un monde de possibilités ouvert devant moi.

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Le cyclisme représente beaucoup pour beaucoup de gens, et nous avons chacun notre approche personnelle de cette passion qui unit des gens de tous horizons, à la recherche d’expériences et d’un sentiment de réalisation qui nous sont propres. Là où j’en suis aujourd’hui, physiquement et métaphoriquement, c’est le résultat d’années d’exploration, d’évolution perpétuelle de ce que je suis et de ce que je cherche ; c’est un voyage qui continue à se dérouler devant mes yeux. Tout comme la route dans cette vallée, qui monte et passe au milieu de grands blocs de roche depuis longtemps détachés des montagnes qui s’élèvent tout autour de moi.

Pour la première fois, je remarque que je suis seul, sur une route déserte, rappelé de temps à autre à la civilisation par le tintement d'une cloche attachée au cou d’une vache.

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Je savoure cette paix et me lève de ma selle. Pas par besoin, mais parce que je le veux ; je ressens le besoin de pousser sur les pédales, de glisser sur cette montée avec un sentiment de joie pur, difficile à trouver dans le monde d’aujourd'hui.

Je ressens un plaisir presque pervers à cette souffrance physique, qui est révélée par ces montées ; c’est une souffrance que j’ai appris à aimer, car c’est là que mon expérience va au-delà du pédalage. C’est là que je trouve un état méditatif, que mon esprit se vide de toute pensée. 

De petits nuages gris commencent à se rassembler au loin, suspendus à des fils invisibles... l'écho lointain de l’orage me rappelle que dans les montagnes, rien ne dure bien longtemps. « Vis le moment présent », entends-je à l’intérieur de moi. Cette sagesse impacte ma vie bien au-delà du cyclisme. Il ne faut pas longtemps aux premières gouttes pour tomber du ciel, aux premières flaques pour se former sur la route, à l’air pour s’emplir de l’odeur caractéristique de la terre mouillée. Loin d’être perturbé par ce changement de météo, j’accueille cette averse et lève mon visage vers le ciel, bouche ouverte, pour savourer la douceur de l’eau sur ma langue.

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Un dernier coup de pédale et la route se termine, pour laisser place à une piste de gravier dont j’ai entendu parler pour la première fois quelques mois auparavant, assis dans une cabane, lors d’une nuit froide et humide comme le Pays de Galles sait les faire. « Entre dans le tunnel, tourne à droite et continue jusqu’à ressortir de l’autre côté de la montagne ». Tels étaient les mots de cette dame au visage buriné et aux yeux distants avant d’allumer sa lampe frontale et de disparaître dans le noir. Avec ses mots, elle avait semé une graine, planté une idée qui, nourrie et chérie avait fini par prendre vie.

À présent, c’est à moi de me retrouver dans le noir alors que la montagne m’engloutit tout entier. L’air dans le tunnel me fait frissonner, les parois rocheuses m’entourent jusqu’à me rendre presque claustrophobe. Au loin, une faible lueur artificielle attire mon attention ; je me dirige vers ce point comme un papillon de nuit vers une flamme. Une fourche, un virage à droite, une pause... Un instant de doute se présente avant de reprendre confiance en mon instinct et de suivre les instructions.

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Les ombres dansent sur les murs alors que je continue à m’enfoncer au cœur de la montagne. Des fantômes du passé me poursuivent dans la pénombre jusqu’au point où je me sens comme étouffé par les limites de mon esprit et par la roche qui m’entoure. Enfin, une lueur de lumière naturelle apparaît. Je fonce en sa direction, attiré par la promesse de ce que j’y trouverai. Je la regarde grandir à chaque seconde ; un kaléidoscope de couleurs dégringole vers moi ; l’optimisme pénètre à nouveau mon esprit.

Libéré des griffes de la montagne, je ralentis mon rythme, plein de gratitude pour le paysage qui m’entoure. Au-dessus de moi, à gauche, j’aperçois le visage effrayé d’un ancien glacier, sous lequel des couches de roche se jettent dans les eaux bleu azur qui s'étirent à perte de vue. Le rugissement de chutes d’eau cachées résonne en moi, le sentier se faufile à travers les champs verts mouchetés de fleurs sauvages jaunes, blanches et violettes.

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Je parviens difficilement à m’arrêter, en admiration totale devant un paysage dont je n’aurai pas cru l’existence si je ne l’avais pas vu de mes propres yeux. Pour la première fois de ma vie peut-être, je me sens totalement bouleversé par la nature, effrayé par la puissance naturelle qui émane de chaque centimètre de ce coin du monde sauvage et enchanteur.

C’est ce genre de moment que je cherche ; des moments de joie pure, qui me rappellent la fragilité de la vie et le besoin de la vivre dans un monde où la plupart ne font qu’exister.

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Je mets fin à ce moment suspendu dans le temps et recommence à rouler en montée, pour découvrir à chaque virage un nouveau chef d’œuvre de la nature, dont la beauté apporte l’antidote idéal aux douleurs physiques engendrées par les montées cruellement abruptes. Je ne crois pas au paradis, mais si c’était le cas, la perfection de ce paysage devant moi est telle que j’imagine qu'il ressemblerait à ça. Mes yeux parcourent inlassablement le paysage et ne s’arrêtent que brièvement pour remarquer d’autres sentiers qui partent dans différentes directions, tous aussi invitants que celui que j’ai choisi, tous semblant appeler mon âme.

Le sentier disparaissant dans la roche qui s'étend à perte de vue, je sais que je dois prendre une décision. Ou plutôt, que je dois accepter l'inévitable et penser à retourner dans le monde réel, dans une vie qui dépasse ma seule existence. Car je sais que maintenant, plus que jamais, en tant que père et mari, mes responsabilités sont supérieures à mes désirs, à l’envie de remplir chaque heure de ma vie de sentiers tels que celui-ci, de rouler jusqu’à la tombée de la nuit, jusqu’à ce que mon corps me fasse souffrir et implore un peu de répit.

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Je m’arrête un instant pour laisser les pensées et sentiments suscités par ce paysage s’écouler à travers moi, m’attarde encore brièvement avant de reprendre le chemin du retour. Face à ma réticence, je sais qu’il y a un équilibre à préserver, un équilibre essentiel dans mon désir d’élargir mes horizons, pour assembler lentement des milliers de pièces, en sachant que rien ne termine jamais. Tout ne fait que commencer.

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